Front 242
Geography
[Alfa Matrix]
La réédition de "Geography", sorti initialement il y a 22 ans, jette un éclairage historique sur Front 242, ces artistes remarquables qui en leur temps ont infligé une gifle au monde de la pop music. Le contexte culturel de 1982 est dominé par le cynisme politique (Thatcher, Reagan), le matérialisme des "yuppies" adeptes d'une musique aseptisée déjà en proie à des considérations mercantiles. La rébellion punk ne sera pas assez fine pour dynamiter ce système. Surgissent alors quatre "insectes guerriers" nourris autant par les avant-gardes picturales du siècle dernier que par l'information vomie par les tubes cathodiques. La démarche est ultime, l'esthétique rugueuse voire terroriste. Les seuls cousins européens de Front 242 s'appellent D.A.F, Fad Gadget, Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire. Ils sont isolés géographiquement mais partagent néanmoins l'idée commune que la création sonore et les arts plastiques forment un tout, que cette base se pratique avec une philosophie proche des recherches électro-acoustiques. On dira plus tard des membres de Front 242 qu'ils sont les premiers sound designers de la techno. "Geography" s'inscrit effectivement dans cette démarche de bricolage irrévérencieux héritée du punk. On sent que le groupe ne dispose pas d'un équipement dernier cri (très onéreux à l'époque), mais il sait déjà apprivoiser les monstres instables que sont les premiers synthétiseurs analogiques accessibles au grand public. Le chant glacé, carré, séduit de prime abord. Il évoque un genre de Joy Division en mutation, sans doute la version sublimée d'un New Order en gestation. La pochette est en complète cohérence avec le "produit global" que Front 242 contrôle de A à Z. Face à ces home studistes qui évoluent dans un désert artistique, la maison de disque n'exerce plus aucun pouvoir. Le premier combat est gagné. Il restera encore à affronter le conservatisme du milieu rock, très choqué par l'absence de guitare sur scène. "Geography" c'est le Galilée de la musique moderne. Il annonce l'avènement radical de la techno de Detroit, de l'électro hip hop de New York, de la house de Chicago en plein obscurantisme rock'n roll. On essaiera plus tard de brûler ces sorciers, de taire leur influence. S'il est facile de persécuter des êtres humains, le son, lui, demeure insaisissable. Les fans "durs" du groupe se réjouiront d'apprendre que l'édition limitée du disque est accompagnée d'inédits, de morceaux démo, d'enregistrements live. Un bonus à ce magnifique travail de remastering et de dépoussiérage de l'album original. Cultissime !
Anthony Augendre


Autour De Lucie
Autour De Lucie
[Village Vert]
Pour son quatrième album, Autour De Lucie joue la sobriété et choisit un titre éponyme. Sans vraiment savoir pourquoi, des chansons comme Femme à l’eau de vie et La Grande évasion rappellent les images et les souvenirs de ces courtes balades de proximité que l’on fait le dimanche après-midi, sans presser le pas, avec calme et détachement, persuadé que seul le moment présent compte. Passée maître dans les textes à la fois si personnels et tellement universels, les mots de Valérie Leulliot s’articulent, légers et parfois vengeurs (Dans quel pays), comme des pantins de papier dont elle maîtrise le pliage avec adresse. Avec un son voulu plus live par le producteur Stéphane "Alf" Briat (Air, Phoenix), Noyés dans la masse fait suite à l’inoubliable Je reviens issu du précédent album "Faux mouvement". Valérie ose l’anglais sur Guiding Hands et s’essaie à la légèreté des paroles sur la pop enjouée de Personne n’est comme toi. Cependant, elle n’oublie surtout pas qu’Autour De Lucie sait aussi écrire ces chansons mélancoliques que l’on reconnaît dès les premières mesures, telles que Avril en octobre ou encore Sans moi. L’album est à l’image (si apaisante) de sa pochette, où ce rayon de soleil protecteur vient masquer, avec finesse et pudeur, le visage de ceux qui prennent le risque de se dévoiler. Et c’est avec malice qu’un titre très cinématographique vient clore cet album, sur lequel Valérie récite plus qu’elle ne chante ; avec humour et amusement, elle interprète Les Hommes peuvent être. On aurait presque envie de jouer avec elle, et de lui suggérer : "Les hommes peuvent être … sensibles, tout simplement".
Bertrand Hamonou


Chandeen
Pandora's Box
[Kalinkaland/Novamedia]
Chandeen aura été l'un des fers de lance de la passionnante vague heavenly voices, que le label allemand Hyperium aura largement contribué à populariser dans la première partie des 90's. Au côté des Love Is Colder Than Death, Stoa, Anchorage ou autre Stella Marris, le quatuor proposait pourtant une alternative plus poppy (quoique toujours très ambient et romantique) aux poncifs néo-classiques ou ethniques qui stigmatisaient déjà cet avatar de la dark wave. Sans tomber dans la bliss pop sous-Cocteau Twins, Chandeen continuera avec bonheur d'assurer sur ses cinq albums cette subtile alternance entre chansons mélancoliques et longues plages méditatives. En dépit de nombreux changements de chanteuse, la griffe du groupe s'imposera très rapidement et donnera le jour à quelques superbes albums tels "Jutland", "Spacerider Love at First Sight" ou le superbe "Shaded by the Leaves". Aujourd'hui fraîchement dissout, le noyau central de Chandeen, Harald Löwy (machines) et Antje Schultz (chant) propose une nouvelle compilation en forme de testament. Parcourant dans le désordre mais avec un réel sens de l'homogénéité, les hauts faits d'armes de leur discographie, parfois dans des versions edit (ce que l'on peut d'ailleurs regretter pour le très beau Scottish Hills), le duo offre en outre deux très bons inédits, Breathing Spirit et Tides of Life qui ne pourront que nous faire regretter le split d'une formation si attachante.
Stéphane Leguay


Day Behavior
Have You Ever Touched a Dream?
[A Different Drum]
Attention ! Ce disque est un médicament et est à prendre pour ce qu’il est : de l’anti-dépresseur à effet limité dans le temps. Ce second album de Day Behavior est de ces disques qui accompagnent merveilleusement le retour anticipé du printemps avec son electropop sobre et chic, du genre de celle que nous offrirait Vince Clark s’il décidait de remplacer Andy Bell par une jolie brune moitié Suédoise, moitié Italienne. En écoutant "Have You Ever Touched a Dream?", on est aussi en droit de penser à Dubstar ou encore à Olive (Happy Fairytale), même si l’utilisation de certains sons et clichés orientés dancefloors est aussi irritante qu’immédiatement jubilatoire. Ainsi, à l’instar de Celluloide, Day Behavior a réalisé quelques reprises sur des tributes à Depeche Mode et à Camouflage, et a appris à composer des mélodies aussi simples que magiques (et pour tous publics), telles que celles de Give Me, Close Your Eyes et Devil in Me qui vous ferons oublier la candeur abusive de leur trop facile Mon :Ami, et la rudesse de l’hiver. Le souffle de Paulinda réchauffe là où celui de Darkleti (Celluloide) numérise tout sur son passage, et même si leur musique présente quelques démarches communes, les vraies similitudes seront à chercher sur l'accessoire deuxième CD de remixes qui accompagne l'album. Avez-vous déjà touché un rêve ? Après l'écoute de ce disque, votre réponse risque bien
d'être "oui".
Bertrand Hamonou


Die Form
InHuman
[Matrix Cube]
Autant le dire d’emblée : le nouveau Die Form est une belle surprise ! Car, alors que l’on pensait que Philippe Fichot avait exploré au maximum toutes les variations que son style permettait (une voix féminine éthérée, une voix masculine saturée, des machines), celui-ci trouve encore une manière de se renouveler sans perdre une once de sa personnalité. Dès le premier morceau, InHuman étonne en effet par ses sonorités plus modernes et plus riches, parfois proches d’une certaine techno industrielle. En parallèle, la voix d’Eliane P., toujours aussi magnifique, s’aventure elle aussi sur des territoires qu’elle n’avait quasiment jamais visités auparavant. Plus proche de la spiritualité de "Duality" que de l’agressivité d’"Extremum", le chant de la muse de Fichot se pare cette fois d’accents inédits, évoquant parfois la musique médiévale sans tomber pour autant dans le "revivalisme" vieillot. À tel point que des titres comme Féérie, Ad Libitum ou Fossilized Light pourraient presque passer pour du Qntal ! Sans parler du superbe Amnestic Disorder, certainement l’un des morceaux les plus abordables qu’ait jamais composé Die Form. La voix de Philippe Fichot est ainsi nettement plus en retrait, et les compositions trouvent un équilibre étonnant entre virulence et caresse. Bien entendu, la musique et le concept du couple n’ont pas pour autant subit de révolutions majeures, et les fans ne seront pas particulièrement désappointés. Néanmoins, saluons l’exploit de cet artiste qui, après plus de 25 ans de carrière, parvient encore à évoluer intelligemment, réalisant du même coup ce qui restera sans doute comme l’un de ses meilleurs albums.
Christophe Lorentz


Electrelane
The Power Out
[Too Pure]
Voici la nouveauté anglaise du moment ! "The Power Out" est le deuxième album de Electrelane, ce groupe de filles issu de Brighton à qui on devait déjà "Rock It to the Moon" (2001), un premier album instrumental plutôt expérimental qui était passé relativement inaperçu à l'époque. Cette fois, c'est le célèbre Steve Albini qui est aux manettes, et les morceaux, autrefois un peu longuets, se sont du coup raccourcis et ont pris une forme plus "classique" de chansons rock. Mais le groupe n'en a pas pour autant totalement abandonné ses penchants pour les expérimentations puisque "The Power Out" réserve à l'auditeur quelques originalités, comme le très synthétique Only One Thing Is Needed, sorte de disco punk complètement déjanté, ou la ballade The Valleys où un poème de l’Anglais Siegfried Sassoon est chanté facon... chorale religieuse ! Le reste de l'album oscille entre punk, folk ou minimalisme "coldwavien", autant d'influences ingérées et digérées par la chanteuse Verity Susman et ses copines, puis intelligemment réutilisées : on citera pour exemple les très réussis Take the Bit Between Your Teeth, This Deed (et ses paroles en allemand tirées d'un texte de Nietzsche) ou l'instrumental Love Builds Up et ses charmants synthés rétro. Un album franchement pas désagréable qui comporte son petit lot de surprises, et un groupe en voie de devenir une nouvelle référence néo-punk-arty. Vous avez dit hype ?
Renaud Martin


Encre
Flux
[Clapping Music/Chronowax]
La musique d’Encre est à l'image de la pochette de son nouvel album. Très difficile à appréhender au premier abord, on ne peut s'empêcher de revenir sans cesse tenter de la déchiffrer, sans ne jamais vraiment y parvenir. Un simple laptop permet à Yann Tambour de composer des mélodies bien ciselées à l'orchestration étonnante. Piano, guitare, violon, batterie et autres instruments classiques s'enchevêtrent avec malice pour habiller ses mélodies complexes sur lesquelles se pose, s'impose, ce chant expiré véritablement hypnotique, mais qui se fait beaucoup trop rare. Si la musique de "Flux" n'a rien de difficile, elle mérite cependant l'étiquette d'inclassable. Car ces huit titres ont tout autant de charme qu'ils sont énigmatiques. Une espèce tordue d'electronica post rock, curieuse, mais délicieuse. Tentez l'expérience. Vous ne le regretterez pas.
Christophe Labussière


Immense
Hidden Between Sleeves
[Conspiracy]
Immense, les bien nommés. Tant par la palette très large de directions que prend cet album, proprement inclassable, que par l'impression d'avoir entre les mains un véritable bijou. Si le terme d'OVNI tend à être galvaudé dans le vocabulaire du critique, il s'applique cependant particulièrement bien ici. Le paradoxe d'Immense résidant dans le fait de nous livrer un album cohérent dans la multiplication des chemins empruntés. On aperçoit en effet tantôt des influences électro ambient (en particulier sur The Most Dangerous Part, qui rappelera dans son intro Radiohead), tantôt post rock (voir le très Godspeed-ien HMS Immense dans sa construction tout en crescendo avec grand renfort de batterie, guitare et xylophone), tantôt pop folk (voir 22,000 où Rocky Votolato pose sa voix éraillée comme sur quatre autres morceaux) ou encore classique (sur l'envoûtant 3-Year Plan). Minimaliste et à la fois grandiose de par la débauche d'instruments, les rares passages de saturations et les plages ambient, "Hidden Between Sleeves" pourrait dérouter aisément. Là où d'autres piétinent, Immense détruit avec grâce toutes barrières de style et entraîne l'auditeur dans un labyrinthe fascinant. L'expérience, inédite, est tout bonnement monumentale.
Catherine Fagnot


Jacquy Bitch
Haine
[Manic Depression]
Plus de cinq ans après son premier album, le très moyen "Coram", l'aïeul de la batcave hexagonale fait un retour tonitruant avec un "Haine" largement plus puissant que son prédécesseur. Quelques boucles électro, des guitares plus massives et un son globalement plus corrosif donnent à ce disque un petit relent métal-indus qui accroche les oreilles et les tripes (Dérive). Efficaces à défaut d'être totalement novatrices, les nouvelles compositions du lutin nordiste semblent définitivement prendre la tangente de son passé avec Neva, même si l'ombre gothique plane toujours au-dessus d'un album emmené par les sempiternels baragouins faméliques de Bitch. Rageur, enfiévré, dépressif mais jamais larmoyant, "Haine" énumère presque cliniquement les visions schizophréniques et hallucinées de son créateur, nous gratifiant au passage d'un 1945 abrasif, d'un Cimetière moribond ou d'un Nuage déchirant. Avec ce disque plutôt réussi, on peut légitimement espérer que Jacquy Bitch bénéficie de la vogue néo-batcave engendrée depuis quelques années par Cinema Strange et autre Bloody Dead and Sexy, pour enfin attirer l'attention d'un public plus jeune vers une carrière des plus méritantes et qui semble avoir au final encore quelques belles années devant elle. C'est tout le malheur que l'on souhaite à ce vétéran de l'underground français, qui en solo comme avec Neva, se sera toujours retrouvé à contre-courant des modes et des styles.
Stéphane Leguay


Lapsed
Twilight
[Ad Noiseam/Soundworks]
Quand il ne consacre pas son temps à créer de la musique sous le nom de Lapsed, Jason Stevens vend des disques. Ses connaissances musicales semblent d'ailleurs avoir largement imprégné cet album. Ainsi, à l'écoute des premiers titres de "Twilight", on pense d'abord avoir affaire à un énième album click & cuts, avec rythmiques basiques et nappes de synthé ambient un peu cliché. Heureusement, notre homme a le sens de la composition et il le prouve vers la deuxième moitié de l'album, où les trouvailles mélodiques s'enchaînent (telle cette jolie alternance entre sons clairs et textures plus "feutrées"), même si parfois certains morceaux résonnent comme des expérimentations inachevées, trouvées au hasard d'une manipulation. Fort de son expérience professionnelle, le jeune Américain flirte ainsi allègrement avec toutes sortes de styles : drill'n'bass, techno, ambient, rhythmic noise, electronica... mais sans jamais arriver à choisir une voie précise. Il n'en a, a priori, pas l'intention puisqu'il a déjà prévu que son deuxième album serait totalement différent. "Je ne veux jamais refaire deux fois la même chose", dit-il. Soufflons-lui alors d'opter pour un format plus court et de canaliser un minimum cette envie de "tout faire" s'il veut remplir son contrat. Il en a les moyens.
Carole Jay


Neither Neither World
Rewound
[Shayo]
Présent sur la scène indépendante de San Francisco depuis une dizaine d’années, Neither Neither World interpellera essentiellement les amateurs de dark folk. Adepte d’Anton LaVey, fasciné par les serial killers (d’Henry Lee Lucas à Charles Manson) tout autant que par le Marquis de Sade, le groupe aime à classer sa musique sous le label "satanic folk". Un univers sulfureux qui contraste avec la douce voix de Wendy Van Dusen qui n’est pas sans rappeler Hope Sandoval (Mazzy Star). Les délicates mélopées (guitare et parfois piano) de Neither Neither World évoquent tout aussi fortement les ambiances acoustiques de Current 93 ou Death in June, et ce n’est pas un hasard si le groupe a auparavant sorti deux albums chez World Serpent. "Rewound" est justement une sélection de titres issus des derniers disques du groupe à présent épuisés ("Alive With the Taste of Hell" et "Suicide Notes"), et comprend également des reprises comme le Psychocandy des Jesus & Mary Chain, All I Ever Wanted de Bauhaus ou No New Tale to Tell de Love & Rockets. Pour peu que l’on soit sensible aux atmosphères folk éthérées cette réédition est une bonne occasion de découvrir un groupe, qui s’il n’innove en rien, a le mérite de s’adonner avec joliesse aux canons du genre.
Laure Cornaire


Regard Extrême
Utopia
[Cynfeirdd]
Cela faisait longtemps que nous étions sans nouvelles de Regard Extrême. Découvert il y a dix ans sur la compilation "L'appel de la muse vol. IV" du label Alea Jacta Est, le projet de Fabien Nicault continue bon gré mal gré à distiller une musique néo-classique, que certaines ambiances martiales n'ont pas manqué de rattacher à son compatriote Les Joyaux de la Princesse (avec lequel il a d'ailleurs réalisé le magnifique Die Weisse Rose). Sorti aujourd'hui sur le label français Cynfeirdd, ce troisième album ne change pas d'un iota le fameux style liturgique et les rythmiques mortuaires qui siéent si bien à Regard Extrême. Entièrement instrumental et dominé par les claviers, "Utopia" s'écoule langoureusement tel un long périple vers les abîmes d'une désillusion et d'une mélancolie qui semblent se refléter à travers chaque seconde de cet album. Les titres parlent d'eux-mêmes : Lorsque fuient les rêves, Eldorado, Blessures éternelles, Par-delà les ruines… Pourtant, ce joli voyage en terres de brume finit par tourner un peu en rond au bout d'une demi-heure d'écoute, et il faut attendre la trompette salvatrice de Gae Bòlg sur le remix d'Utopia pour se réveiller un peu. On préfèrera donc s'arrêter moins sur cet aspect redondant d'une musique nécessairement cyclique que sur la qualité des compositions et la maîtrise des ambiances, exercices dans lesquels Regard Extrême continue d'affiner sa patte albums après albums.
Stéphane Leguay


Remain Silent
T/I/D
[Brume Records]
Pari ambitieux que de mettre en musique les trois "actes" qui jalonnent un "cycle de vie" selon Remain Silent (aka Yann Souetre), à savoir la Tension, l'Introversion et enfin la Destruction. Ces trois longs morceaux (environ vingt minutes chacun), eux-mêmes subdivisés mais sans interruption, sont une invitation à s'immerger dans un univers singulier. Univers d'une complexité jouissive pour tout amateur d'indus et d'électro ambient qui choisira d'en être plus qu'un simple témoin. Difficile de ne pas se laisser happer en effet par cette palette de sons, tant les couleurs sont parlantes et les ambiances variées à l'intérieur de chaque phase. Tension est avant tout un déferlement entraînant d'électro tourbillonnante, aux beats rapides même si les sept parties qui le composent offrent quelques respirations bienvenues. Loin d'être un crescendo tout du long, format facile au vu du thème, Remain Silent a préféré jouer la carte de l'alternance intelligente. L'exemple le plus flagrant de cette paradoxale cohérence étant Introversion qui introduit des nappes de dark ambient à cet électro indus souvent dur, sans trop en rajouter dans le pathos. On songera néanmoins à Gridlock ou à Raison d'Etre sur certaines parties (la deuxième et plus particulièrement la cinquième, apnée déchirante de toute beauté), alors que la quatrième, composée avec Bernard Filipetti (de Prime Time Victim Show), renoue avec une rythmique plus dansante voire dub. Sur Destruction, son introduction limite hardcore ne préfigure pas pour autant de la suite, très proche de "L'Eau Rouge" des Young Gods, qui se meut peu à peu en un instrumental Skinny Puppy-esque. À vous de découvrir la fin de cette odyssée humaine fascinante. Car c'est là que se situe le tour de force de ce concept album : rien n'est vraiment prévisible, mais les éléments enfouis, latents, sont amenés avec finesse et l'ensemble est stupéfiant de justesse.
Catherine Fagnot


Septic IV
Compilation
[Dependent]
Quatrième chapitre de la série de compilations "Septic" du label allemand Dependent, ce nouveau cru est plutôt satisfaisant pour deux raisons. D'abord parce que l'arrière-garde constituée par les groupes "maison" est plutôt bien représentée, avec en tête l'excellent Seabound et un remix épuré de Transformer, le très énergique Pride and Fall et son remix dansant de Omniscient, Interlace et une version très puissante de son hit Under the Sky ou bien encore le digne fils de Nine Inch Nails, le très doué Dismantled avec une démo plutôt sombre mais humaine de l'un de ses derniers titres. Ensuite parce que les nouveaux venus sont bien sélectionnés : Mindless Faith impose ainsi une électro-indus très rythmée avec un chant à la Bigod 20 / Icon of Coil, Fektion Fekler nous livre une composition entêtante qui n'est pas sans rappeler les mélodies simples et les sons clairs des synthés de Tangerine Dream, Standeg promet un brillant avenir avec un morceau électro-techno branché au refrain répétitif et plutôt détendant, et Babyland est encore plus surprenant avec un titre à la fois pop, léger et lui aussi très dansant. Seuls quelques groupes tels que This Morn Omina, Mind in a Box, Audio Agression et Hate Dept. gâchent un peu l'ensemble par leur côté vieillot et/ou répétitif. Mais globalement, cette compilation de quinze morceaux est plutôt de très bonne qualité pour tout amateur d'électro-indus et de future pop, à l'image du morceau parfait de Retrosic qui fait ici vite oublier les :Wumpscut: et autres Suicide Commando. Ce disque est peut-être même, dans son ensemble, le meilleur des quatre volumes. Alors vivement la suite.
Stéphane Colombet


Servovalve
Le Sixième doigt
[M-Tronic]
Servovalve a toujours été un électron libre de la scène électronique française. Chaque rencontre avec ce petit prodige dans le cadre de ses prestations live permet de s'étonner un peu plus de ses talents hors norme de graphiste et de musicien. Il réussit à représenter une combinaison à l'équilibre toujours parfait entre ses créations musicales et le travail esthétique qu'il réserve aux ondes, distorsions, effets et agencements graphiques. L'interaction de l'un sur l'autre se fait toujours d'une façon étonnante. Peu d'artistes parviennent à combiner aussi brillamment ces deux sens que sont l'ouïe et la vision, si ce n'est Rioji Ikeda. Que ce soit dans le cadre de ces live ou sur son site Internet, Servovalve est toujours parvenu à décliner cet assemblage étrange entre graphisme et électronique, allant jusqu'à proposer sur son premier album un logiciel permettant à l'auditeur de "visualiser" les compositions sur l'écran de son ordinateur.
Son nouvel album, "Le Sixième doigt", ne propose qu'un CD audio, accompagné il est vrai d'un logiciel qui donne la possibilité de recomposer le titre Irregularities d'une façon aléatoire. Mais si le ludique intervient et l'expérimental reste encore au rendez-vous, il faut admettre qu'ainsi amputé de l'aspect visuel, cet album n'est qu'un disque d'electronica à vrai dire peu excitant à l'écoute duquel on s'ennuie. Le dernier titre, "chanté" en toute sobriété, dénote curieusement et agréablement du reste du disque, mais il ne parvient pas à gommer le côté austère de ces compositions bien trop mécaniques et parfois même assez classiques. Alors un seul conseil, et essayez vraiment de vous y tenir, mettez tout en œuvre pour aller à la rencontre de Servovalve en live, cette expérience, elle, reste véritablement exceptionnelle.
Christophe Labussière


The Stranglers
Norfolk Coast
[Roadrunner]
Les Stranglers n'avaient plus sorti d'album depuis maintenant six ans et à vrai dire, cela faisait bien le double de temps que l'on n'avait plus rien écouté d'eux. On n'ira pas jusqu'à prétendre que l'absence de Hugh Cornwell (disparu depuis quatorze ans et cinq albums) ne se fait pas ressentir, mais on retrouve dans "Norfolk Coast" tellement d'éléments caractéristiques des meilleures années du groupe que l'on en vient à se laisser bluffer par une grande partie des morceaux : vous vous surprendrez à chantonner dès le début de Norfolk Coast ou resterez persuadé d'avoir déjà entendu Lost Control... On se doit de reconnaître que Jean-Jacques Burnel et ses acolytes ont réussi à reconduire et à pérenniser ce son si particulier qui a étonnamment bien survécu au temps. Même s'il est bien clair que si, dans les années qui viennent, l'envie nous reprenait d'écouter un album des Stranglers, c'est plutôt du côté de "La Folie", "Féline", "Aural Sculpture" ou encore "Dreamtime" que l'on se tournera, que cela ne nous gâche surtout pas le plaisir du moment : "Norfolk Coast" n'a vraiment rien de honteux, bien au contraire.
Christophe Labussière


Tonal Destruction 2
Compilation
[DTA Records]
Décidément la triple compilation à thème connaît de plus en plus de succès. Cette fois-ci, c’est le label américain DTA qui s’y colle, avec le deuxième volume de la série Tonal Destruction. 41 artistes (maison, mais aussi empruntés à d’autres labels tels que Hands, Ad Noiseam, M-Tronic ou Frozen Empire Media...) nous sont proposés dans disons, quatre, voire cinq styles différents. Le premier CD explore la scène rhythmic/power noise et attaque d’entrée avec les martèlements de Pneumatic Detach, suivis de C.H. District, Exclipsect, Proyecto Mirage, Cdatakill ou encore Mlada Fronta. Le deuxième CD rectifie le tir en puisant dans le vivier électro/dark ambient (Chaos As Shelter, Nihil Est Excellence, Wilt, Magwheels...) avec plus ou moins de bonheur. Quant au troisième, il mélange power electronics, electronica et expérimentations diverses, et le résultat est un peu étrange et assez fourre-tout, puisqu'on passe de Aural Blasphemy à Duuster, ou de NTT à Cordell Klier en passant pas Mago... Bref, même si la qualité de tous ces morceaux est plutôt inégale, voilà néanmoins un bon moyen de découvrir un petit monde qui reste finalement encore bien confidentiel. Si vous aviez déjà entendu parler de certains de ces artistes mais que vous n’aviez pas osé franchir le pas, cette compilation est pour vous, d'autant plus que son prix n'est pas franchement prohibitif (15 $ sur le site du label DTA).
Carole Jay


Virga & Lunt
Baxendall
[Unique Records]
Virga et Lunt, les projets de deux musiciens solitaires, Lionel Maraval (Virga) et Gilles Deles (Lunt), s’offrent un split CD pour rompre la monotonie et parcourir un bout de chemin en bonne compagnie. Chacun intervient chez l’autre par remix interposé, et une véritable collaboration s’installe le temps d’un Hix où les guitares de l’un (Lunt) et les beats de l’autre (Virga) donnent à cette production "splittée" des allures de travail en commun. Sur le trajet de ce voyage à deux, on rencontre tour à tour des références et des clins d’œil à Micro:mega ainsi qu’aux productions du label canadien Constellation (Stretched Meridians). Le très réussi Shining qui ouvre et clôture ce disque amorce une hypnose des plus envahissantes : aux boucles électroniques et aux ambiances raffinées qui ne sont pas sans rappeler les travaux des frères Humberstone sur leur projet Les Jumeaux, s’ajoute un percutant et martial glockenspiel. Puis sur Heliotrope, Virga crée la tension et l’énergie à partir de ses machines, comme un savant fou essayant de créer la vie dans ses éprouvettes. Lequel savant insuffle un peu de mystère au One Day de Lunt avec un remix aux allures de fin du monde. Seul rayon de soleil dans ce laboratoire mal éclairé, le superbe Geodesic de Lunt, tout en guitares et finesse, parviendra à calmer les tempêtes expérimentales créées par son compagnon de route. Ce split CD sonne comme l’album instrumental d’un seul et même artiste tant les productions des deux artistes sont complémentaires, et on leur conseille de recommencer. Après tout, Virga & Lunt, c’est un bon nom de groupe.
Bertrand Hamonou


yelworC
Trinity
[Baal/Minuswelt]
Enfanté à Munich en 1987 par Peter Devin et Dominik Van Reich, yelworC (anagramme de Crowley -Aleister de son prénom- magicien et philosophe affilié au satanisme) marqua l’électro-dark avec son unique album en 1992 : "Brainstorming". Très influencé par Klinik et Skinny Puppy, le duo secoua même les dancefloors avec quelques tubes qui préparèrent le terrain pour la déferlante :Wumpscut:. En 1994, Dominik Van Reich s’en alla fonder Amgod, et yelworC sombra dans le silence. Aujourd’hui seul maître à bord, Peter Devin remet son projet sur les rails pour cet album-concept basé sur "la Divine Comédie" de Dante. Au premier abord, le disque frappe par son visuel très soigné, avec son beau digipack au graphisme classieux, et son riche livret aux illustrations dignes d’un comic-book délicieusement ésotérique. Malheureusement, l’affaire se gâte lorsque l’on pose le CD dans la platine et que s’échappe des enceintes une infâme bouillie sonore épouvantablement datée. Samples de films d’horreur en pagaille, voix distordue marmonnant des textes inaudibles, percussions industrielles aiguës, bribes de chœurs lyriques et bouts de mélodies lointaines se télescopent mollement, d’autant que le son est étonnamment sourd et la production étroite. Malgré la collaboration de Dennis Ostermann d’In Strict Confidence (responsable du mastering et aux voix sur un morceau), aucun titre ne ressort de ce magma pénible où l’on peine à trouver la moindre idée musicale, le moindre gimmick accrocheur, la moindre sonorité originale et le moindre rythme dansant. Quelque part, Peter Devin est allé au bout de son concept : l’écoute intégrale de "Trinity" s’apparente bien à une certaine idée de l’Enfer !
Christophe Lorentz
Express
Vous n'y avez certainement pas échappé, Franz Ferdinand (Domino) et sa pop très british est la "révélation" la plus hype du moment. À mi-chemin entre The Rapture (en plus rigolo) et les Talking Heads, son album éponyme aux très forts accents de Dexy's Midnight Runners (en particulier le single Take Me Out) hante les ondes et les charts depuis quelques semaines. Si l'esbroufe qui précède le groupe reste démesurée, le premier album de ces Écossais mérite tout de même qu'on s'y attarde un peu.
Si l'on s'est intéressé dans un premier temps à Microsillon c'est, on doit bien l'avouer, plus pour la présence de Mona Soyoc (Kas Product) et d'An Lysbeth Tollane (Juniper), invitées chacune sur un titre, que pour le travail de Mr Wrong et Le Poulpe. Mais au final, si ces deux titres valent à eux seuls l'acquisition de cet album, c'est bien pour l'ensemble de "Some Flavoured Pearls" (M10) (qui porte très bien son nom) que l'on s'en- thousiasme ; car entre pop, easy listening, bossa et groove, les deux DJ et musiciens qui tiennent les manettes de ce projet soigné nous offrent un disque varié et énergique. Un essai parfaitement réussi à se procurer de toute urgence.
On a tous connu un groupe de lycée propre et discipliné, rigoureux et ordonné, qui proposait en fin d'année un set carré devant un parterre conquis d'avance. Avec Pálinka, basse, guitare, batterie et synthé discret s'appliquent à nous offrir un son pop rock très scolaire, sans accroc ni relief, dont la personnalité ne repose que (trop) sur la voix du chanteur qui, bien mal lui en a pris, a choisi comme référence évidente (en particulier sur le titre Paradoxe), Nicolas Sirkis. Une faute de goût dont il faudrait impérativement se détacher si Pálinka veut prolonger l'aventure au-delà de ces quatre titres.
Avec l'album "Voices" d'Object on change tout de suite de catégorie. Les compositions pop rock, appliquées et délicates, sont ici imprégnées de sonorités qui rappellent constamment les premières heures de The Cure (la guitare de Heure d'été ou la basse de Loin du monde) et font mouche dès la première écoute. Le chant, qui alterne entre anglais et français, apporte une touche à l'ensemble et donne tout son intérêt à cette vraie curiosité, vampirisée par l'hommage insistant et forcément volontaire à Smith et Gallup.
Christophe Labussière
Express
Après avoir dignement fêté leurs dix ans d’existence l’année dernière, les Ultra Milkmaids nous reviennent avec un nouvel album intitulé "Pop Pressing" (Ant-Zen). En 38 minutes et 48 secondes très exactement, le duo nous propose pas moins de quatorze morceaux qui se succèdent parfois de manière totalement aléatoire, passant d’une electronica expérimentale familière à un style post rock tout ce qu'il y a de plus "classique". Les deux frères semblent être revenus à leurs premières amours, on le voit d’ailleurs bien sur les photos du CD où un pauvre laptop se retrouve noyé au milieu de plusieurs instruments électro-acoustiques (guitares, batterie). On est très proche des expérimentations de Désormais et de Fennesz, mais aussi de Sonic Youth, et contre toute attente, le résultat est plutôt séduisant.
Rasal.A´Sad est le side project de Fernando Cerqueira, éternel activiste de la scène électronique ibérique, membre du projet Ras.Al.Ghul et acces- soirement tête pensante du label portugais Thisco. Après un quatre titres sorti en 2002, "Asuan" est le premier album qu'il sort sous ce nom. Mais du début ambient new age (qui évoque les meilleurs moments de Tangerine Dream !) à l’ultime note de ce disque, on est stupéfait de constater qu’une musique aussi datée puisse encore être créée de nos jours, et avec autant de conviction ! Il y a bien ces voix sympathiques qui vous enveloppent dans un moment de quiétude parfaite, mais pour le reste… Faites écouter à vos vieux parents baba, ils devraient adorer. Un disque totalement ana- chronique.
Pour finir, accordons quelques lignes méritées au label japonais Progressive Form qui, après la compilation "Forma 1.02", nous propose sa petite sœur "Forma. 2.03" sortie fin 2003. L’occasion de découvrir ou redécouvrir bon nombre d’artistes captivants, qu’ils soient allemands (comme Static, qui a déjà sorti deux albums sur le label City Centre Offices), américains (tel le jeune duo 30506, déjà présent sur la première compilation), russes (le nouveau venu Serguei Iwanikov) ou bien évidemment japonais (comme l’excellent Katsutoshi Yoshihara). Entre microfunk et electronica, cette compilation est un bel exemple de rigueur artistique et un bel échantillon de ce que peut proposer ce label désormais incontournable.
Carole Jay
Express
Inquiétant et à vif. Le côté farce de l'Eglise du Mouvement Péristaltique Inversé en moins, des textes et un chant à la Programme, une boîte à rythme indus (voir Panneaux de laque, morceau qui rappelle les Einstürzende Neubauten des débuts), un violoncelle qui rôde et des samples foutraques : voilà ce que propose Arnaud, seul maître à bord de Mille Feuille. sur un quatre titres indus expérimental prometteur qu'on ne demande qu'à voir sur un support plus long. À bon entendeur...
"I Matter" (Dora Dorovitch) de Thomas Mery, ex-Purr, laisse en revanche plus songeur. Difficiles d'accès de prime abord, ses trois titres collages composés de glitchs, guitare sèche et piano agacent ou intriguent. Mais pour peu que l'auditeur franchisse la barrière électro expérimentale a priori binaire et déstructurée, parfois stridente, il découvrira au gré de ce labyrinthe de motifs finement enchaînés d'étonnantes plages intimistes, d'une sensibilité finalement déroutante et profonde.
Pour "État des lieux" (Ad Noiseam) de Crno Klank, projet solo de C-Drik qu'on connaît pour ses remarquables travaux au sein de Ambre, Ammo ou encore Dead Hollywood Stars et ses collaborations avec Mark Spybey par exemple, la finesse n'a guère de place. Cet album tumultueux s'inscrit en effet dans une électro indus tribale des plus brutales. Hormis quelques nappes ambient du calibre de "Heaven Deconstruction" des Young Gods (sur État des stocks ou Ontdekkingsreis), ces 45 minutes plongent l'auditeur dans un univers agité où des
percussions d'une cadence assassine se heurtent à des fréquences souvent agressives. La densité est certes là et le niveau est soutenu tout du long, ou presque, mais confère de fait à cette mécanique extrême une linéarité dommageable.
Catherine Fagnot