32 Décembre
Enki Bilal
[Les Humanoïdes Associés]
Enki Bilal est certainement aujourd'hui le dessinateur français (d'origine bosniaque) le plus connu du grand public et surtout le plus respecté, tout autant par ses pairs que par les amateurs de bande dessinée. Cinq ans après "Le Sommeil du monstre" il daigne enfin offrir la suite très attendue à sa nouvelle trilogie. Le premier tome prenait ses bases sous les bombardements de Sarajevo en 1993, ici on s'éloigne enfin de ces encombrants fondements politiques pour retrouver trente ans plus tard les trois orphelins nés dans la première partie. Leur route se croise de nouveau et l'intrigue tourne autour de ces rencontres, des sentiments parfois durs qui en résultent, et du monde chaotique où l'on retrouve un artiste qui fonde son art sur la mise en scène de la violence et du mal, et où tous les représentants religieux sont réunis pour une même cause... Politique, religion, éloge de la différence, les obsessions de l'auteur restent toujours les mêmes.
Si le dessin de Bilal est toujours impressionnant, il n'a finalement pas énormément évolué depuis "Froid équateur" (92). Mais c'est par contre du côté de la narration que l'auteur prend des aises plus déroutantes que jamais qui lui permettent de rajouter une dimension vraiment nouvelle à ses dessins. Il faut reconnaître que l'on s'éloigne de plus en plus de la bande dessinée "classique". Bilal ne le cache d'ailleurs pas, s'il est totalement reconnu comme dessinateur et scénariste, c'est du coté du grand écran qu'il lorgne maintenant depuis pas mal d'années. Mais "Tykho Moon" et "Bunker Palace Hotel" ne lui ont pas encore offert la reconnaissance souhaitée. Car ici il faut bien admettre que plus qu'un album de BD, c'est une sorte de synopsis que l'on tient entre les mains, voire un catalogue de dessins qui serait commenté dans la marge... La narration est en effet très décomposée, avec une utilisation systématique d'explications "off", comme si un scénariste timide n'avait pas osé interférer sur les dessins, avec de très nombreuses cases contenant seulement du texte. À être trop habile elle en devient parfois confuse, voire par moment carrément hermétique. La bonne nouvelle est peut-être qu'aujourd'hui Enki Bilal n'est plus l'auteur majeur du 9ème art qu'il a longtemps été, la relève est d'ailleurs entre de très bonnes mains ; on peut lui reconnaître aujourd'hui d'avoir carrément inventé un nouvel art, et de celui-là, il est le maître incontesté.
Christophe Labussière